Dans le Deuxième arrondissement de Paris, une allée pavée, où la lumière ne passe jamais trop et qui ressemblerait presque à un cul-de-sac, est devenue le lieu d’un joli royaume couru par toutes les papilles de la ville et d’ailleurs. En quelques années, le chef Grégory Marchand a investi les deux côtés de la rue du Nil afin d’y installer tout l’esprit de Frenchie, la maison de bons vivants qu’il a fondée en 2009 : voilà Frenchie To Go - dont on vous recommande l’extraordinaire sandwich au pulled pork -, le Frenchie Bar à Vins et, surtout le restaurant Frenchie, pour lequel le chef a récupéré une étoile Michelin en début d’année. Alors que les restaurants s’apprêtent à réouvrir dans le pays - enfin ! -, il fallait bien s’entretenir avec l’un des cuistos les plus en vue du moment. Parce qu’en cuisine, la fringue compte presque autant que le goût.
© Géraldine Martens
À l’époque où vous faisiez vos études à l’école hôtelière, contre quel uniforme avez-vous troqué vos vêtements de jeune homme ?
Je suis entré à l’école hôtelière en 1994, à 16 ans. Avec les autres élèves, nous portions des toques en cuisine, comme dans les grands palaces - plus tard, lors d’un passage dans un restaurant à Londres, j’ai même porté une sorte de petit calot en tissu. Mais ce qui m’a le plus marqué à ce moment-là de ma vie n’a rien à voir avec la dégaine du chef. Quand nous n’étions pas en cuisine, nous devions porter tous les jours un costume, avec une chemise et une cravate. Cela nous faisait sacrément bizarre, je peux vous le dire. C’était des costumes pas possibles, taillés n’importe comment, que l’on avait achetés pour rien dans le premier magasin du coin. J’en retiens une chose, cela dit : j’ai appris à faire les nœuds de cravate à cette époque.
Aujourd’hui, à quoi ressemble votre silhouette en cuisine ?
C’est assez simple : cela ressemble peu ou prou à la vraie vie. Je suis en jean délavé, et j’ai des New Balance aux pieds. Avec elles, je peux piétiner et marcher vite sans problème, je peux même courir entre les fourneaux. Le confort, c’est ce qui importe le plus. Des New Balance, je dois en avoir six ou sept paires chez moi. Des modèles 1997 pour être très précis. Sur les épaules, je porte toujours un t-shirt blanc. J’en ai un lot d’une vingtaine chez moi, que je renouvelle très régulièrement. C’est mon essentiel. Par dessus, j’enfile une veste de cuisine blanche classique, avec mon nom brodé dessus, comme la plupart des chefs. Dès que j’enfile ma veste, j’entre dans un personnage. Je suis un chef, ça se voit. C’est écrit sur mon visage. Le design des ces vestes a évolué ces dernières années. Les coupes sont plus contemporaines, plus adaptées à la silhouette. Elles scient au corps au lieu de l’engloutir. Les temps changent, comme dans la mode où le streetwear a peu à peu remplacé la grande mode au sens classique du terme.
En plus d’être chef en cuisine, vous êtes également chef d’entreprise puisque vous devez gérer vos affaires à Paris, et aussi le restaurant Frenchie que vous avez ouvert à Londres. Pour ce qui est des fringues, comment faîtes-vous pour passer d’un rôle à l’autre dans la même journée ?
Je suis toujours en mouvement entre les cuisines et le monde extérieur. Du coup, il s’agit de pouvoir alterner entre mon rôle de chef et celui de chef d’entreprise le plus facilement du monde, sans avoir besoin de passer trois plombes au vestiaire, de changer de pantalon et de chaussures. Du coup, c’est surtout pour ça que je suis habillé de manière assez standard, sans être trop cuisinier dans le style. Je n’ai qu’à enlever ma veste et à la renfiler quand j’en ai besoin, selon mon emploi du temps. Rien de plus. Dans chacun de mes restaurants, j’ai toujours deux ou trois vestes qui trainent, comme ça. Et vous savez quoi, il m’arrive aussi de me présenter à mes rendez-vous en veste de cuisine. Je trouve que ça passe. Il y a quelques temps, j’avais commencé à réfléchir avec l’architecte de mes restaurants à une veste particulière faite par Bragard, qui est l’une des maisons les plus reconnues dans le domaine. Nous voulions faire une veste qui désacraliserait la pièce. C’était une veste compatible entre la cuisine et la salle. Une veste de tous les jours qui aurait pu me permettre de ne jamais vraiment me changer. Finalement, ça ne s’est pas fait. Ce qui est certain aussi, c’est que lorsque j’ai des rendez-vous importants, je ne suis jamais en costume. J’ai un col roulé fin, un jean, et des brogues anglaises aux pieds. Rien de plus. Les costumes, c’est pour mon directeur des opérations !
Aidez-nous à résoudre un important mystère de la vie en cuisine : pourquoi certains chefs portent-ils une veste noire, et d’autres la préfèrent en blanc ?
Ceux qui aiment le noir doivent se dire que ça les amincit ! Vraiment, quand on y pense, le blanc ne met vraiment pas toujours en valeur. Et puis il y a la question des taches, aussi. Avec du noir, on se prend moins la tête à ce sujet. Quand on est chef, les taches, c’est évidemment terrible. Il y a celles des petites purées, avec toutes leurs couleurs, qui giclent partout quand on utilise un mixeur. Il y a aussi les taches de jus de viande qui sont pas mal dans le genre, comme le sang de toutes les pièces de boucherie, d’ailleurs. Personnellement, je m’en tiens au blanc. Je trouve ça pur comme vêtement, la veste blanche. Cela va bien avec les autres tons de la cuisine: les ustensiles en inox, le carrelage qui brille. Tant pis pour les taches. Chez moi je ne porte ni veste ni tablier quand je fais la cuisine. Je suis en t-shirt blanc, et je m’en mets partout, parce que je ne fais pas attention, parce je cuisine comme d’habitude. Dans ces cas-là, j’ai une technique toute bête, mais infaillible: le pressing.
© Virginie Garnier
Pourquoi la veste et plus généralement l’uniforme du cuisinier constituent-t-ils un enjeu important en cuisine ?
La cuisine est l’endroit de tous les dangers et il faut pouvoir se protéger. Les chefs ne portent pas de vestes spéciales pour rien. Elles ont une double épaisseur au niveau du plastron qui permet de se protéger en cas d’éclaboussure d’eau ou d’huile bouillante. De la même manière, les boutons des vestes sont toujours à pression afin de pouvoir se déboutonner d’un coup, au cas où ça brûlerait fort. Si l’on était simplement habillé d’un t-shirt, ce serait quand même problématique: on risquerait de garder des marques à vie. C’est aussi bien d’avoir des sabots aux pieds: ce sont des chaussures de sécurité ergonomiques qui permettent d’être à l’aise en même temps qu’elles protègent dans le cas où une grosse casserole nous tomberait dessus ! Moi, je n’en porte pas, et c’est peut-être parce que j’aime le risque !
Pour finir, quelle est l’actualité de Frenchie à l’heure où le monde s’apprête à respirer un peu ?
Nous serons prêts pour réouvrir notre restaurant parisien au mois de juin, je pense. Nous sommes en train de nous préparer et cela fait un bien terrible de savoir que nous pourrons bientôt servir du monde comme avant ! Par ailleurs, nous développons ce que nous appelons Frenchie To Go, notre branches de plats à emporter. Nous avons déjà un lieu dédié pour servir ces plats-là à Paris, et nous sommes aussi en train d’ouvrir des petites cuisines dans les grandes villes de France pour vous livrer chez vous, via les applications de commandes !