chemise rayéerayée bleuLorsqu’il s’agit de s’atteler à ce travail laborieux qu’est la décoration d’une maison ou d’un appartement, il ne faut pas se voiler la face: la plupart d’entre nous court se balader dans les rayons industriels de ce célèbre géant suédois du mobilier. Une habitude que TIPTOE, une petite entreprise de vingt salariés - tout de même ! - installée un pied de chaise à Paris et un pied de table à Chamonix aimerait bien bouleverser. Avec un argument de poids: des collections durables et recyclables. Une manière de faire qui, bien évidemment, avait de quoi susciter notre curiosité, chez Hast. Rencontre avec le cofondateur de TIPTOE, donc, Vincent Quesada.
TIPTOE est une entreprise qui se réclame de ce que l’on appelle aujourd’hui “l’éco-design”. Dans les grandes lignes, en quoi ce modèle-ci se différencie des enseignes grand public qui vendent du mobilier ?
La différence entre les deux modèles ne saute pas automatiquement aux yeux car il faut être un peu connaisseur pour comprendre les particularités d’un meuble. Disons que pour la majeure partie des marques « grand public », il s’agit surtout de produire le moins cher possible. Quand on part de ce principe, peu de problématiques sont vraiment prises en compte. Grosso modo : l’origine des matières premières n’est pas surveillée, la main d'œuvre est mal payée et on délaisse l’effort de conception, le design. Dans de nombreux cas, les marques grand public choisissent leurs meubles « sur étagère » dans de gigantesques usines en Asie en modifiant quelques détails ici et là pour les adapter à leur marché, sans véritable effort de design. Pour produire une chaise à cinquante euros, c’est la seule manière de faire. À l’inverse, la démarche d’éco-conception (ou l’éco-design) implique de placer la durabilité au cœur des méthodes de conception. Un produit doit durer dans le temps, il doit être facilement réparable mais également facilement recyclable le temps venu. Chez TIPTOE, on pense la construction et la déconstruction de nos produits. Tout est fait pour que chaque produit soit le plus durable possible. De manière générale, un canapé classique est très difficilement recyclable car il est fait d’une multitude de matériaux composites : en fin de vie, on le broie, on le brûle ou on l'enfouit sous terre.
Le choix des matériaux est donc un élément essentiel de votre équation…
Pour chaque produit, il faut qu’il y ait peu de matériaux, peu de composants différents, et tout doit donc être recyclable. L’année dernière, nous avons par exemple sorti une chaise en plastique recyclé dont le dossier et l’assise sont produits à partir de chutes industrielles de production. On récupère un déchet plastique qu’on transforme en granulés avant de les injecter dans un moule pour créer un objet utile, beau et durable dans le temps. De la même matière, les plateaux de certaines de nos tables sont fabriqués à partir de pots de yaourts récupérés pour être fondus, pressés et transformés en un matériau prêt à la découpe qui a l’apparence d’un terrazzo marbré. Avant de sortir un produit comme ça, il a fallu travailler un an avec un certain nombre de partenaires afin de s’assurer que le matériau pouvait résister à la chaleur, qu’il n’était pas cassant et aussi qu’il était esthétique, parce que cela compte évidemment à l’achat. Un objet a beau être le plus durable possible, s’il n’est pas beau et désirable, personne n’en voudra.
Le bois est sans doute le matériau le plus important dans le domaine du mobilier. On le retrouve quasiment partout. Évidemment, il existe à ce sujet tout un tas de problématiques éthiques. Comment vous assurez-vous de la provenance de votre bois et comment le travaillez-vous ?
Selon l’objet que l’on va produire, nous n’utilisons pas forcément le même bois. Pour nos tabourets, nous utilisons du bois massif - du hêtre et du chêne essentiellement. Ce sont des lames de bois brut qui ne sont mélangées à rien d’autre. Elles sont découpées, collées ensemble et ensuite usinées. Si l’on veut donner une certaine forme au bois, on utilisera plutôt ce qu’on appelle du multiplis. Ce sont des tranches de bois très fines qui sont collées les unes aux autres avec des solvants à base d’eau et qui sont ensuite pliées. En termes d’approvisionnement, nous n’utilisons que du bois vierge qui vient de forêts européennes durablement gérées et labellisées PEFC ou FSC. Ces certifications ne sont pas encore parfaites mais elles permettent dans une large mesure de s’assurer que le bois vient de forêts gérées de telle sorte que les arbres peuvent se régénérer facilement et où la repousse est assurée. Les marques traditionnelles achètent souvent du bois qui vient de l’autre bout du monde, d’Inde ou d’Indonésie par exemple où il y a peu de traçabilité et où les problèmes de déforestation sont récurrents. On utilise également du bois recyclé. Dans ces cas-là, il s’agit de bois qui provient de bâtiments détruits où l’on récupère des poutres, des pans de plancher, tout ce que les structures comptent de bois. De manière générale, nous évitons de travailler avec du bois aggloméré : un amas de déchets de bois condensé avec des solvants souvent nocifs et qui a tendance à se détériorer rapidement.
Quid de l’acier, aussi, qui vous sert notamment à développer vos pieds de table ?
L’acier est le matériau le plus recyclé au monde. En Europe, on estime que 80 % de l’acier en circulation a déjà été recyclé au moins une fois. L’acier est recyclable à l’infini. À chaque cycle de recyclage, il ne perd aucune propriété mécanique là où le plastique ne peut être recyclé que quelques fois avec l’état actuel des technologies. De notre côté, nous utilisons des feuilles d’acier qui sont découpées au laser, pliées et peintes avant d’être cuites dans un four pour que la peinture se fixe dessus. C’est ce que l’on appelle de l’acier thermolaqué, ce qui garantit une très grande longévité à l’objet, en évitant qu’il ne rouille par exemple. La famille de mon associé possède une usine qui travaille l’acier depuis plusieurs générations près de Chamonix. Plus précisément, le savoir-faire familial s’appelle le décolletage. C’est une manière de travailler le métal qui s’est développé en Haute-Savoie à partir du 18ème siècle et qui a permis aux agriculteurs de trouver un complément de revenu en fournissant des pièces à l’horlogerie Suisse voisine. L’usine familiale est l’un de nos premiers fournisseurs et produit toutes nos pièces mécaniques, nos vis et nos éléments d’assemblage.
Comme Hast, vous faites également très attention à l’emballage de vos produits afin de réduire le coût environnemental de vos activités…
Nous utilisons majoritairement du carton pour emballer nos produits et nous nous assurons qu’il est fait au moins à 80 % de papier recyclé. C’est une exigence mais ce n’est pas une difficulté à trouver. Cela n’a rien à voir avec l’alimentaire où les emballages doivent répondre à des normes de qualités extrêmement particulières pour ne pas corrompre la nourriture. On essaye par ailleurs de réduire la quantité d’emballage à usage unique. Nous travaillons pour ne plus mettre nos outils d’assemblage dans des pochettes plastiques que l’on jette ensuite à la va-vite. Il faut créer une pochette en papier, ou bien un endroit dans le carton où elles peuvent être fixées.
Quels sont aujourd’hui les projets qui vous tiennent le plus à cœur ?
Nous continuons de développer notre gamme de produit au-delà de notre premier objet, le pied de table en serre-joint. C’est un objet dont les premières déclinaisons datent des années 70 et qui avait surtout été pensé sur du très haut de gamme jusque-là. Le pied de table TIPTOE est un objet qui donne des idées. Il permet de créer une table avec une grande variété de plateaux. Il y a des exemples de gens qui ont utilisé des vieilles portes de grange, d’autres qui se sont servis de plaques de parquet. Cela force à aller chercher des choses qui existent déjà. Dans quelques semaines, nous sortirons un canapé dont la mousse des coussins est recyclée entièrement : elle provient de matelas qui sont hachés en petits flocons, et ces derniers sont ensuite désinfectés et recondensés. Tout est également démontable, ce qui veut dire que chaque élément, de la mousse à l’acier de la structure, peut être recyclé. On veut surtout faire des choses utiles, nous n’avons pas envie de tomber dans ce qui tient à l’ornement et de faire des objets uniquement décoratifs. A long-terme, si nous nous développons à très grande échelle, par exemple en Asie et aux États-Unis, notre philosophie fait que nous devrons faire en sorte de produire nos collections sur ces territoires au lieu de les importer depuis l’Europe. Mais nous n’en sommes pas encore là !
Vous travaillez avec des usines, et des hommes et des femmes qui portent encore le bleu de travail, avec des outils pleins les poches. Mais de votre côté, en tant que chef d’entreprise, portez-vous le costume ?
Avant TIPTOE, j’ai travaillé pendant trois ans dans une banque d’affaires. J’étais tous les jours en costume et en cravate. J’en ai eu ma claque. Aujourd’hui, je suis en t-shirt et chemises la plupart du temps, et même quand je dois rencontrer nos investisseurs. Le costume, c’est fini. Même pour les mariages, je n’en porte pas.