Gay Talese et l'art tailleur

Gay Talese et l'art tailleur

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Chaque matin ou presque de l’année, un vieil homme de 88 ans coiffé d’un chapeau en feutre et habillé d’un élégant costume de fabrication italienne sort de cet hôtel particulier qu’il occupe dans le très chic Upper East Side new-yorkais et rejoint discrètement une sorte d’abri installé sous son perron. Là, au milieu d’un fourre-tout parfaitement ordonné de boîtes emplis de notes écrites à la main éclairé à la lampe de chevet, il s’installe contre un long bureau verni et se met à taper sur le clavier d’un ordinateur semblant déterré du temps où l’informatique balbutiait encore. Gay Talese est écrivain. Il est aussi une légende, un nom que l’on convoque dans bon nombre d’anthologies, de chroniques et de discours des rédactions aux amphithéâtres d’université.



Gay Talese est sans aucun doute celui qui a fait passer à la postérité le fameux Nouveau Journalisme, ce genre littéraire où le récit journalistique est infusé par les outils de la fiction. Qu’il s’agisse de livres ou d’articles, tout est ici affaire de mise en scène ciselées, de dialogues haut en couleur et de descriptions fourmillantes de détails sur la forme des choses et des gens.


"Je ne peux pas me permettre d’être anodin, jamais. Je suis un homme élégant et je crois en l’élégance en toutes circonstances”

Après avoir façonné son style dans les colonnes du New York Times et du magasine Esquire dans les années 60, Gay Talese s’est construit une épaisse bibliographie. On y trouve Ton Père tu honoreras (1971), où l’on embarque dans la roue d’un puissant baron de la mafia italienne de New York, comme Le Motel du voyeur (2016) soit la rencontre frémissante de ce patron d’une auberge des profondeurs américaines se plaisant à observer l’intimité de ses clients au moyens de quelques ingénieux stratagèmes. Dans “Frank Sinatra a un rhume”, un vaste portrait du plus éminent crooner américain, Gay Talese écrit ceci: “Sinatra portait un costume anthracite de modèle oxford, coupé de manière assez conservatrice sur l’extérieur, et dont le revers était fait d’une soie flamboyante; ses chaussures anglaises, elles, étaient impeccablement cirées, jusqu’à l’endroit de leurs semelles”. Une somme d’informations qui dit l’obsession de l’auteur pour les belles allures, chez les autres comme pour lui. “Il faut que je sois sans cesse parfaitement habillé. Quand je sors de chez moi pour déjeuner d’un sandwich au bout de la rue, je m’habille bien. Pourquoi ? Parce que l’on va me voir. Je ne peux pas me permettre d’être anodin, jamais. Je suis un homme élégant et je crois en l’élégance en toutes circonstances”, annonce ainsi Gay Talese dans le dernier numéro de la revue L’Etiquette.

Pour tout dire, les chiffons ont toujours fait partie de la vie de l’auteur. Gay Talese est le fils d’un tailleur italien d’Ocean Beach, une ville moyenne coincée dans l’ombre de New York, et il passa son enfance et son adolescence à observer les notables du coin parader devant la glace du paternel. Alors qu’il était en Europe pour effectuer son service militaire; le jeune Talese se rendit à Paris où son oncle Antonio était un couturier renommé du quartier de l’Opéra. “Je suis alors devenu un fidèle des costumes confectionnés par mon oncle, explique-t-il. Dans les années qui suivirent, je me suis débrouillé pour gagner assez d’argent pour devenir l’un de ses clients.” Des pièces impeccablement taillées au ton crème ou bleu océan coûtant 2500 ou 3000 dollars et ce même une ristourne au titre de la proximité familiale.

Aujourd’hui, Gay Talese possède près d’une centaine de costumes signés par son oncle, mais aussi de chez Brioni, Zegna, Battaglia ou encore Melandri, les papes du tailoring à la napolitaine. Certains sont croisés et agrémentés d’une ceinture. Tous ont vingt ans d’âge au moins et tiennent du style des années 30, la période préférée de Gay Talese. “Ce sont des indémodables qui imposent leur propre style”, avance-t-il fièrement. Pour pouvoir porter ses costumes d’époque, avec leurs coupes qui sanglent le corps, il est important de garder la même physionomie, fait remarquer Gay Talese. “Comme j’aime porter de vieux habits, il est important que je ne gagne pas de poids. Cela fait cinquante ans que je me débrouille pour peser toujours la même chose. Je fais des exercices, et je ne mange pas de glace.” Le conseil ultime pour porter ses vêtements à vie ?